Evolution des configurations familiales, évolution des conflits

Comment le soutien à la coparentalité peut intégrer ces mutations

Pour citer cet article : LIMET O., « Avant de repenser la coparentalité … Coup d’œil sur quelques transformations des familles », in L’Observatoire N° 87 – 2016, pp 93-97.

Résumé

Les transformations de la famille sont profondes : de multiples séparations parentales, bien sûr, mais aussi des recompositions et autres nouvelles configurations familiales. Et surtout une évolution considérable de ce que recouvre le fait d’être parent aujourd’hui, les composantes biologique, généalogique et éducative de la parentalité pouvant concerner plus qu’un seul père et qu’une seule mère. En quoi, paradoxalement, ces évolutions constituent-elles un terreau favorable à l’exacerbation des conflits autour de l’enfant ? Comment le soutien à la coparentalité doit-il intégrer ces mutations ? 

 

Mots-clés : Séparations – Modèles familiaux – recompositions – parentalité – coparentalité – parents additionnels

 

Un terreau propice aux séparations, et aux conflits autour de l’enfant ?

 

 « Les parents de Léa »[1]

 

  • Madame (Mme), accompagnée de Léa (tout contre sa maman), à Monsieur (M.) : Qu’est-ce que tu fais là ?
  • : T’avais pas le droit d’inscrire Léa à Mons !
  • Mme : Ben elle rentrait en primaire, c’était temps de choisir une école !
  • : On devait choisir ensemble, et il y a trois écoles à la même distance de chez toi et de chez moi (1)[2]!
  • Mme : T’imagines quand même pas qu’on va se lever toutes les deux à 6h du matin tous les jours pour que je me tape une heure de bouchons et qu’elle soit crevée alors qu’il y a une bonne école à dix minutes de chez moi (2)!
  • : Personne t’a obligée d’aller habiter aux quatre cents diables (3)! D’ailleurs t’avais pas le droit de déménager comme ça sans l’accord du juge (4)! On doit prendre les décisions ensemble pour Léa !
  • Mme : J’ai le droit de faire ce que je veux de ma vie ! Y a rien dans le jugement qui m’empêche de déménager si j’ai envie, t’as qu’à demander à ton avocat (5)! Et tu crois que c’est bon pour une gamine de 6 ans d’être tout le temps transbahutée d’un endroit à l’autre ? T’as qu’à demander à n’importe quel psy, il te dira que les enfants ils ont besoin de sta-bi-li-té (6). Et je suis quand même sa maman, hein, c’est quand même moi qui sais ce qui est bon pour elle ! (7)
  • : C’est n’importe quoi ! Tous les psys disent que les enfants ont besoin autant de leurs deux parents (8)! Et c’est ce qu’elle veut, Léa, c’est même toi qui me l’as dit qu’elle me réclamait au bout de 3 jours ! Hein, Léa, que t’as envie de venir chez Pap…(9) (Mme s’interpose entre M. et Léa)
  • Mme : Laisse-la tranquille ! T’as qu’à en parler à la prochaine audience au tribunal !
  • : C’est ça, dans trois mois ! Si c’est pas reporté par ton avocat ! Tu crois que j’ai pas compris ton manège ? Tu te sers d’elle (10), tu utilises le temps qui passe pour que le juge te donne la garde, mais j’te jure, t’auras pas la garde toute seule, tu ne m’empêcheras pas de l’avoir une semaine sur deux ! (11) Et d’ailleurs, maintenant c’est comme ça dans la loi ! (12)
  • Mme (s’en allant avec sa fille « sous son bras ») : Rhooo, Papa n’est pas gentil avec nous ! Viens, nous on n’aime pas quand il n’est pas gentil avec nous … (13)

Monsieur a la mâchoire et les poings serrés, mais semble se contenir (14).

 

Avant de proposer quelques éléments de décodage « contextuel » à propos de cette scénette, tentons de cerner diverses composantes du terreau des scènes familiales d’aujourd'hui.

 

Quelques évolutions sociohistoriques majeures

 

M’appuyant sur les précieux apports de divers auteurs[3], j’avais pointé lors de précédents articles[4] quelques évolutions sociohistoriques majeures qui donnent un éclairage sur ce qui constitue le terreau dans lequel se font et se défont les familles contemporaines.

 

Très brièvement, notons ici : l’injonction de se réaliser, d’être authentiques, de tenir compte de ses besoins et désirs sincères ; l’augmentation des séparations ;  le « démariage » (le fait que l’union matrimoniale « n’est plus le socle unique de la construction de la famille et de la filiation »[5]) ; la diminution du nombre d’enfants par famille (enfants désirés et « choisis »), et une place plus centrale conférée à l’enfant (qui devient la nouvelle clé de voûte de la famille), à son intérêt supérieur, à ses droits ; le développement progressif de l’égalité entre femmes et hommes (et pères et mères), d’une part dans l’accès à plus d’indépendance aux femmes, et d’autre part menant à ce que les hommes prennent une part plus active dans l’éducation des enfants ; l’affaissement d’un mode « vertical » de l’autorité au profit d’un mode plus « explicatif » (« à un paradigme de l’autorité fondée sur l’ordre défini de façon arbitraire a succédé un modèle de communication orienté vers le consensuel et l’explication »[6]) ; l’évolution du droit, et la venue de lois qui, plus que de contraindre, promeuvent un idéal (ex. en Belgique de la loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire …) ; une « psychologisation » de la sphère familiale ; une vulgarisation des savoirs scientifiques, et une large diffusion par les médias des conseils et des normes qui en découlent – conseils et normes variant au cours du temps et selon les sources ;  etc.

 

Il résulte notamment de ce qui précède que, lors de transformations de la famille, tant les hommes que les femmes sont susceptibles de revendiquer un rôle parental, et, même si les voies du dialogue sont valorisées, tant des pères que des mères ressentent la légitimité d’exiger que leurs besoins propres, ou que leur vision des besoins de leur enfant soient respectés. De plus, en particulier dans les situations plus conflictuelles, l’intérêt de l'enfant peut servir de support aux argumentations les plus diverses, entre autres basées sur les « discours savants », essentiellement inscrits dans le champ de la psychologie. L’accès à ceux-ci est devenu progressivement plus aisé, surtout, plus récemment, avec le développement des technologies de l’information. Ces discours vulgarisés, promus, ambiants sont une source de légitimation des positionnements des parents, et aussi des professionnels. Ces positionnements, qui parfois ressemblent à des slogans et discours idéologiques, semblent souvent renforcés par l’ancrage dans des modèles culturels intériorisés – et dans l’air du temps.

 

Des positionnements enracinés dans des modèles

 

Revenons brièvement sur deux des modèles d’organisation familiale qui se sont succédés, ou plutôt superposés au travers du temps, et dont l’ancrage sociohistorique (que nous ne pouvons développer ici) a été brillamment expliqué par le sociologue Gérard Neyrand[7]. Précisons qu’il en est donné ici une version caricaturale et réductrice, et que les individus sont inévitablement imprégnés de plusieurs modèles – ceux mentionnés ici et d’autres[8].

Modèle naturaliste, d’abord, selon lequel les rôles paternel et maternel seraient essentiellement déterminés par la nature. Très classiquement, par exemple, la mère serait par nature destinée à prendre soin de l’enfant surtout en bas âge, et le père serait le garant de l’inculcation des règles, et fournisseur de ressources matérielles.

Modèle égalitaire, ensuite, selon lequel, de manière aussi caricaturale, les hommes et les femmes (et les pères et les mères) ont des droits et devoirs égaux. Il y a bien évidemment des différences biologiques, mais les capacités éducatives n’en découlent guère, contrairement au modèle naturaliste. Les capacités sont plus déclinées en termes de fonctions, socialement attribuées aux hommes et aux femmes, aux pères et aux mères. D’une telle vision découle des propositions telles que la « garde alternée », qui, si elle est discutée, l’est plus pour des questions de rythmes et d’adéquation pour le bébé, l’enfant, l’ado, que pour des questions de capacités parentales et éducatives, que tant les pères que les mères peuvent développer.

Illustrons au travers de deux courtes scénettes (monologues de deux mamans) la forme que pourrait par exemple prendre des discours ancrés dans chacun de ces modèles :

 

Patricia : C’est normal que mes enfants soient avec moi !

C’est inscrit depuis toujours dans la nature !

Faudrait quand même que les politiques arrêtent de faire des lois à cause d’une poignée de types fanatiques et frustrés de ne plus avoir d’autorité sur… Enfin, ça veut pas dire que le père n’a pas d’importance, non, il a beaucoup d’importance, et la mère et les enfants ont besoin de lui, même après une séparation. Mais les enfants, c’est une maman qui les comprend et sait ce qui est bon pour eux, elle a ça dans le sang !

………

Emeline : Moi, la garde alternée une semaine sur deux, je trouve ça super. Une semaine, je suis vraiment dispo à mes filles, et la semaine où elles sont chez leur père, je fais en fonction de moi, et des nécessités.

Aline, l’aînée, elle commence à râler un peu, parce qu’elle voit pas ses potes pendant une semaine, et qu’elle doit tout trimballer …

Je ne serais pas contre qu’elle vive plus chez moi, ou chez Sébastien.

Les capacités des deux parents ???? S’ils se sont toujours occupés tous les deux des enfants, comme plein de couples maintenant, c’est bien la preuve qu’ils sont capables de le faire, pères ou mères !

 

On comprendra aisément que la divergence entre de telles positions continue d’alimenter des débats tels que celui de la « garde alternée » (résidence alternée en France, hébergement égalitaire en Belgique) …

 

C’est particulièrement lors de crises et de conflits que ressurgissent ou s’exacerbent de tels modèles parfois latents, profondément intériorisés. Ils peuvent aussi être reformulés, plus ou moins adroitement, en termes d’intérêt de l’enfant, ou de droits de l’enfant, perçus comme arguments plus légitimes :

 

  • Mon fils n’a que 6 ans, mais il est très mature, et j’aimerais qu’on tienne plus compte de son avis. Il dit qu’il ne veut plus voir son père, il faut le respecter.
  • Et … depuis quand dit-il qu’il ne veut plus voir son père ?
  • Depuis sa naissance …

 

Le risque d’instrumentalisation de l’enfant

 

En cas de conflit, c’est donc prioritairement autour de la notion « d’intérêt (supérieur) de l'enfant » (terme qui n’était parfois guère connu dans la famille avant la séparation : les parents veillaient « naturellement » au « bien » de l’enfant) que s’articulent bien des débats. On s’aperçoit vite que cet intérêt de l’enfant est une notion qui est tout sauf univoque : elle est fonction notamment des représentations qu’en ont les protagonistes concernés, eux-mêmes influencés par différents courants et modèles. Paradoxalement, plus l’enfant est au centre de l’attention (n’est-il pas « le premier intéressé par les décisions qui le concernent » ?), plus son « intérêt supérieur » est susceptible de servir de légitimité.  Lorsque les parents, parfois inscrits dans des représentations et modèles qui divergent fortement, ne peuvent adhérer à une même vision de l’intérêt de l'enfant, il apparaît plus que jamais tentant de se tourner vers l’enfant lui-même et sa parole. Si l’intention est parfois de l’associer à la réflexion dans le cadre de la famille démocratique, il peut rapidement se retrouver (la plupart du temps involontairement) instrumentalisé par l’un des parents ou par les deux.

 

Retour sur la scénette « Les parents de Léa »

 

Éclairons à partir de ce qui a été développé jusqu’ici la situation illustrée par la scénette « Les parents de Léa » présentée en début d’article (on se réfère aux (1), (2), … repris dans le texte de la scénette). On se limitera à quelques points, laissant au lecteur le soin d’en cerner d’autres :

(1) au-delà de la référence à la coparentalité, on devine que se pointe une conception « égalitaire » des modalités de « garde » ; (2)  qui ne semble pas celle envisagée par Mme ; (3) Accusation de faire passer la réalisation de soi avant l’intérêt de l’enfant ?; (4) Recours aux références du droit ; (5) Droit à se réaliser, et registre du droit ; (6) Changement de registre : passage aux références psy, ici plutôt inspirées d’un modèle « naturaliste » ; (7) confirmation ; (8) Apparemment Mme et M. ne connaissent pas les mêmes psys … Ici référence plutôt au modèle « égalitaire » ; (9) si le recours aux références psys ne suffit pas, référence à l’intérêt de l'enfant, voire à la parole de l’enfant ; (10), (11) accusations d’instrumentalisation de l’enfant et du judiciaire ; (12) retour au droit (et non, ce n’est pas tout à fait ce que dit la loi …) ; (13) « association de victimes » (cfr B. Van Dieren), puissant stimulant de violences ; (14) violence dans ce cas contenue …

 

Deux derniers commentaires : d’une part, on notera l’absence de parole de « Léa » … Mais est-ce bien le lieu et le temps pour être entendue ?

D’autre part, tout étant relatif, cette situation semble relativement … ‘simple’ : il semble n’y avoir que deux adultes concernés – les parents, père et mère, et qu’un enfant, Léa. Même si c’est difficile, les parents se parlent, et Léa semble avoir des contacts avec ses père et mère.

Qu’en serait-il si la situation concernait aussi des parents « additionnels » ?

 

Ils eurent beaucoup de parents … Entre famille biparentale et pluriparentalités

On le sait, les familles se sont profondément transformées au cours des dernières décennies, et le phénomène des séparations n’y est pas étranger. Même si en Belgique, le taux de divorces (mais qu’en est-il des séparations de couples non mariés, plus difficile à estimer ?) semblerait se stabiliser, voire s’infléchir[9], les séparations, parentales en particulier, continuent à interpeller et questionner, du fait de leur impact sur les personnes qui les vivent – parents et enfants.

En outre, le moment de la séparation, et l’âge des enfants au moment de la séparation semblerait de plus en plus précoce au cours des dernières décennies[10]. La probabilité pour l’enfant de connaître d’autres figures parentales durant sa minorité a augmenté.

D’autre part, les manières de devenir parent ou de « faire un enfant » se sont diversifiées, notamment par les avancées médicales qui permettent la dissociation entre la sexualité et la reproduction (dons de sperme ou d’ovocytes, procréations médicalement assistées, gestation pour autrui, …).

 

Des parents « additionnels »

 

Avec la multiplication et la diversification des configurations parentales (recompositions familiales, couples homoparentaux, …), on voit apparaître des parents « en plus », qui ne cumulent plus nécessairement les trois composantes de la filiation qui étaient a priori « naturellement » réunies dans l’union matrimoniale : le parent généalogique (désigné par le droit), le parent biologique (géniteur), et le parent éducateur ou domestique (qui élève l’enfant)[11]. Ces trois dimensions de la parentalité peuvent être assurées par des personnes différentes. Par ces évolutions, certaines « certitudes » vacillent. Pensons par exemple à la question de savoir qui est le « vrai » parent : le « vrai » père est-il celui que le test ADN désigne comme tel, celui qui a élevé l’enfant depuis son plus jeune âge, celui qui est désigné par le droit ? Avec l’évolution de la médecine, des technologies, et des mœurs, ces questions concernent tant les mères que les pères.

Lorsque les conflits surviennent, notamment lors de séparations de couples « recomposés », nos sociétés sont confrontées à de nouvelles problématiques[12].

 

Après 5 ans de vie commune, André et Zoé se sont séparés. Ils ont un enfant commun, Maxime, âgé de 3 ans, et Zoé a un fils, Nicolas, âgé de 6 ans, né d’une union précédente avec Bernard, chez qui Nicolas va un week-end sur deux et la moitié des congés scolaires. Zoé forme maintenant un couple avec Ygaelle, et cette situation est très mal vécue tant par André que Bernard, et tous deux revendiquent d’avoir la garde principale ou au moins partagée de Nicolas. André considère qu’il est le « papa au quotidien » de Nicolas depuis que celui-ci a un an et demi, et qu’à ce titre, il est important pour l’enfant de maintenir ce lien, et de maintenir également le lien avec Maxime, dont il demande aussi les mêmes modalités de garde (une semaine sur deux) ; Bernard considère qu’il est le seul et unique père de Nicolas, et que maintenant que celui-ci a 6 ans, rien ne s’oppose à ce qu’il s’occupe à titre principal ou égalitaire de son fils, et qu’il serait même préférable que ce soit le cas : il considère en effet qu’il ne serait pas de l’intérêt de l’enfant d’être élevé par deux mères (lesbiennes). Tant André que Bernard sont prêts à laisser une place à l’autre père, mais à titre occasionnel. Quand à Zoé, elle souhaite continuer à élever ses fils au quotidien, comme elle considère l’avoir toujours fait, et elle est convaincue qu’Ygaelle sera une « belle-mère » soutenante et constructive. Elle souhaite que Bernard et André continuent à contribuer financièrement à l’éducation de leurs fils respectifs, et que chacun accueille chez lui son propre fils un week-end sur deux et la moitié des congés scolaires.

 

Développer des références adaptées aux nouvelles configurations familiales

 

La référence unique à la famille nucléaire ne permet pas d’appréhender certaines situations familiales contemporaines.

Progressivement, les « pluriparentalités » font apparaître la nécessité de développer des alternatives aux conceptions jusque là dominantes, basées sur un système de filiation exclusivement bilatéral[13]. La référence à « deux » parents semble parfois devenir presque obsolète, ce qui n’est pas sans ébranler quelque peu les fondements de différentes approches « traditionnelles » des liens « père – mère – enfant »,  ou même des concepts tels que la « coparentalité », souvent comprise comme concernant un ensemble de compétences et de ressources concernant « deux » parents, qui devraient rester un couple parental au-delà de la dissolution de leur couple conjugal.

 

Pour Pierre Fossion, Mari-Carmen Rejas et Siegi Hirsh, les nouvelles « structures parentales » nécessitent de développer des références théoriques appropriées : selon eux, le fait d’utiliser des théories inadaptées aux problématiques abordées sur le terrain serait source de « maltraitance théorique ». Ce phénomène « apparaît lorsqu’une théorie est plaquée sur une réalité clinique qu’elle s’efforce de déformer afin de la faire correspondre à ses postulats, générant ainsi un véritable discrédit envers la spécificité des problématiques et des populations concernées »[14]).

 

Vers une évolution des fondements du soutien à la « coparentalité » ?

 

Le nécessaire soutien aux parents

 

Les transformations des familles ont été à la fois vastes et rapides, et à la multiplication des situations singulières a correspondu une diversification des normes, une « plurinormativité ». En résulte un sentiment assez général de perte de repères, d’insécurité, de perte de contrôle, dans une société qui pourtant veut éviter tout accident et imprévu (« plus jamais ça » !) … Pas étonnant, dans un tel contexte, de voir se développer la nécessité d’un soutien aux parents, parfois quelque peu infiltré par le développement de « bonnes pratiques », inévitablement signes de hiérarchie dans les normes[15], et par les mécanismes d’évaluation et de contrôle qui les accompagnent[16].

 

La coparentalité : un modèle à promouvoir, pas à imposer

 

« Quand on choisit la séparation comme une solution pour réorienter sa vie, il est difficile d’imaginer un avenir dans lequel figure la personne que l’on quitte. Or, il s’agit là du fondement de la coparentalité, car on est parent pour la vie »[17].

Avant on se mariait pour toujours, aujourd’hui on serait parents pour la vie … Rappelons-nous quand même que des slogans tels que « le parental survit au conjugal » ne vont pas gommer des espaces parentaux non seulement les cicatrices de conflits entre les ex-partenaires, mais aussi les modèles et valeurs qui constituent chaque protagoniste.

Soyons attentifs à ce que cette coparentalité, et de manière plus large, le soutien aux parents vivant des transformations familiales importantes, s’ajuste aux besoins contemporains. Posons ici, en guise de conclusion, quelques réflexions en ce sens.

 

Tout d’abord, donner une direction et des repères s’avère nécessaire, en particulier lorsque, comme pointé plus haut, la diversification des situations, qui répond aux besoins des individus en quête de réalisation de soi,  est en même temps source d’inquiétude et de sentiment d’insécurité. En ce sens, « dire que tout se décide au cas par cas, ou par des accords privés, peut paraître une attitude sage et tolérante. Mais renvoyer aux individus le soin de négocier, comme une affaire personnelle, les repères fondamentaux de la filiation ne peut qu’exacerber les rapports de force interindividuels, la guerre des sexes, l’insécurité identitaire de l’enfant … »[18]. De plus, ce serait faire fi d’une autre dimension, chère à toute société qui se dit soucieuse d’égalité – dimension particulièrement perceptible dans la sphère judiciaire : le développement, faute de repères explicites, d’une certaine insécurité quant à l’issue des litiges portés en justice, source d’une possible prolifération des procédures.

 

Pour autant, la coparentalité, qui s’avère un outil puissant de promotion d’un idéal de séparation amiable,  dédramatisée, dialogique, entre parents « contraints à l’accord »[19], n’est pas une panacée universelle, une modalité concrète applicable à tous : « Imposer la coparentalité à tous les parents, c’est risquer de faire violence à beaucoup d’entre eux en « forçant » une solution qui n’a aucun ancrage dans les relations familiales préexistant à la rupture et stigmatiser ceux d’entre eux qui ne parviendront pas à réaliser ce qui est attendu d’eux, ainsi que leurs enfants »[20].

 

Une conception contemporaine de la coparentalité doit donc prendre en compte la diversité et la complexité qui y est liée : diversité des modèles d’organisation familiale, diversité des structures et configurations, diversité des éventuels parents « additionnels ».

 

Et si ces réflexions, et bien d’autres émanant d’autres auteurs, étaient l’occasion de croiser nos pratiques et les mettre en perspective ?

 

Olivier Limet

mai 2016

Notes de bas de page

 

 

 

 

 

[1] Cette  scénette, comme d’autres présentées dans cet article, a été conçue par Olivier Limet pour être jouée par des participants  lors de ses interventions (cours, conférences, formations). Il s’agit de situations fictives, inspirées de situations réelles.

 

[2] Les (1), (2), … renvoient aux décodages qui seront proposés plus loin.

 

[3] Notons par exemple Irène Théry, Gérard Neyrand, Benoît Bastard, Jacques Marquet, Lorraine Filion, Harry Timmermans, Richard Cloutier, Catherine Sellenet, et bien d’autres, auxquels je me suis largement référé dans les articles dont question en note de bas de page suivante.

 

[4] Une dizaine d’articles, publiés dans des revues belges, françaises ou canadiennes, sont consultables sur www.limet.be, onglet ‘publications’.

 

[5] THÉRY I., « Penser la filiation », in BEDIN V. & FOURNIER M. (dir.), La Parenté en question(s), Auxerre, Ed. Sciences Humaines, 2013, p 61.

 

[6] GAVARINI L., « Passion de l’enfant, maltraitance et malaises actuels dans la famille », in GAVARINI L., LEBRUN J-P., PETITOT F., Avatars et désarrois de l'enfant-roi, Bruxelles, Temps d’arrêt, 2002, p 18.

 

[7]NEYRAND G., Le dialogue familial – Un idéal précaire, Toulouse, érès, 2009.

 

[8] Voir à ce sujet LIMET O., « Reconfigurations familiales et place de l’enfant : écueils et balises », in l’Observatoire, trimestriel N°67/2010, pp 18-24.

 

[9] Selon GAVRAY C., « La famille à l’épreuve des sociétés », in l’Observatoire, trimestriel N°76/2013, p 11.

 

[10] CLOUTIER R., « Quelle place pour l’enfant dans la séparation de ses parents? », in Actes du colloque AIX-MEDIATION - AIFI ‘L’enfant au Cœur de la séparation de ses parents - Vers des pratiques professionnelles innovantes’, tenu à Aix en Provence, les 10 & 11 octobre 2013.

 

[11] BOISSON M., « Penser la famille comme institution, penser l’institution de la filiation. La recherche contemporaine en quête de sens commun », in Informations sociales 2006/3, N° 131, p 104.

 

[12] En témoignent des titres d’articles tels que « Mon ex-compagne peut-elle m’empêcher de voir son fils que j’ai élevé ? », in LE LIGUEUR des parents, N° 4, février 2012 (Belgique), p 17.

 

[13] Voir SELLENET C., La Parentalité décryptée – Pertinence et dérives d’un concept, Paris, L’Harmattan, 2007, pp 18-20 ; FINE A., « Parenté : liens de sang et liens de cœur », in BEDIN V. & FOURNIER M. (dir.), La Parenté en question(s), Auxerre, Ed. Sciences Humaines, 2013, pp 40-49.

 

[14] FOSSION P., REJAS M.-C., HIRSCH S., La Trans-parentalité – La psychothérapie à l’épreuve des nouvelles familles, Paris, L’Harmattan, 2008, p 83.

 

[15] SELLENET C., La Parentalité décryptée – Pertinence et dérives d’un concept, Paris, L’Harmattan, 2007, pp 128-129.

 

[16] Voir à ce propos LIMET O., « Du parent ‘suffisamment bon’ à la check-list du parent parfait … un risque pas si éloigné », in Actes du sixième colloque de l’AIFI « Les compétences des parents et les familles séparées », tenu les 6-8 juin 2013 à Ste-Adèle, Québec, 2013 (voir www.limet.be, ‘publications’).

 

[17] CLOUTIER R., « La coparentalité », in CLOUTIER R., FILION L., TIMMERMANS H., Les parents se séparent … Mieux vivre la crise et aider son enfant, Montréal, Ed Hôpital Ste-Justine, 2012, p 122.

 

[18] THÉRY I., op.cit., p 65.

 

[19] LIMET O., Parents séparés : contraints à l’accord ? Une analyse à partir de la loi 2006 sur l’hébergement égalitaire : contexte, discours et pratiques du judiciaire face à la non-représentation d'enfants, Liège, Edipro, 2009.

 

[20] BASTARD B., « Peut-on imposer la coparentalité », in in BEDIN V. & FOURNIER M. (dir.), La Parenté en question(s), Auxerre, Ed. Sciences Humaines, 2013, p 166.